Quelle joie pour un couple que cette annonce de l’enfant à venir. De désir, l’enfant est devenu réalité dans le ventre de sa maman et source de projection pour son papa. Quel sera son avenir, saurons-nous l’aimer suffisamment, sera-t-il heureux, serons nous heureux ensemble ?

Vient ensuite le moment tant attendu de la première échographie : voir son bébé en vrai ! Même si il ne se fait pas encore sentir vraiment, les parents vont pouvoir à travers cette petite caméra toucher un peu plus la réalité de leur bonheur. L’échographe connait la joie qu’il va pouvoir transmettre mais au fond de lui, il sait aussi qu’il peut être le mauvais génie avec son lot de malheur à annoncer. C’est un métier à double facette. Qu’il doit être soulagé de voir que tout va bien. Pour cette fois-ci, il n’aura pas à gâcher ce beau moment de la rencontre du bébé et de ses parents.
Mais d’autres fois, il voit bien qu’il va falloir dire les mots terribles, parler de l’épaisseur de la nuque et là un grand silence va s’abattre dans la pièce. Pour les parents, c’est la fin d’un rêve, d’une histoire. Leur bébé n’est peut être pas normal, je dis bien peut être car à ce stade ce ne sont que des suppositions mais déjà le doute s’est insinué et quoi qu’il arrive cette grossesse ne sera plus jamais comme elle aurait du être : un moment d’attente et de joie.

Ensuite, c’est parti dans l’engrenage du dépistage. Que je n’aime pas ce mot qui montre bien à quel point on traque la proie, on recherche l’anomalie. L’échographe va être aidé par une prise de sang qui définira une zone à risque. S’ils sont dans cette zone rouge alors, ils pourront faire une amniocentèse qui leur donnera le verdict. Oui ou non votre enfant est trisomique. D’ailleurs on trouvera peut être à cette occasion que leur enfant n’est pas trisomique mais porteur d’une autre anomalie génétique ce qui leur donnera encore l’occasion de réfléchir si cette nouvelle anomalie est supportable ou non.

Les parents sont donc censés alors avoir le choix, c’est pour cela qu’on pratique un dépistage systématique. Informer les parents pour les préparer et leur donner ainsi le droit de vie ou de mort sur leur enfant. Que connaissent-ils à ce moment-là de la trisomie 21 : la plupart du temps rien. Peut être quelques clichés : ils sont affectueux mais ils sont malheureux de toutes les façons car ils ne pourront jamais avoir une vie ordinaire. Et nous parents, quelle sera notre vie qu’on avait bien programmé ? Arriverons-nous à trouver un autre bonheur avec cet enfant ? Le gynécologue a une solution à proposer : l’IMG (interruption médicale de grossesse). Si par chance, il connait quelques informations sur la trisomie, il pourra les donner mais bien souvent il est aussi désemparé que les parents qu’il reçoit. Il n’a qu’une solution à proposer, or le principe du choix est d’avoir deux possibilités. Ici, bien souvent il n’y en a qu’une.
C’est le paradoxe de ce dépistage systématique : on voudrait pouvoir préparer les parents et les aider à choisir librement en ayant bien conscience des deux possibilités qui s’offrent à eux : accueillir ou non leur enfant tel qu’il est : trisomique. Malheureusement les médecins n’ont bien souvent qu’une solution à proposer : pourquoi dans ces conditions continuer ainsi ? Je ne suis pas contre ce dépistage mais avec deux propositions à la fin du chemin, alors on pourra parler de décision libre et éclairée.

Je terminerai en parlant de ma propre expérience. Je n’ai pas eu le choix de ma fille trisomique : je l’ai su quand elle était déjà à côté de moi, toute calme dans son berceau. Oui, j’ai voulu partir, m’enfuir sans elle. Oui, j’ai vu défiler dans ma tête les stéréotypes de la trisomie et son lot de malheur. Oui, je me suis sentie incapable de surmonter cette épreuve. Qui a envie d’avoir un enfant trisomique ? Pas moi. Et pourtant, passé le choc de l’annonce, nous avons fait face comme tous les parents qui découvrent un jour que leur enfant n’est pas celui qu’ils pensaient. Qu’il a une maladie incurable, qu’il est violent, paresseux, méchant, égoïste (car ça non plus ce n’est pas drôle à vivre mais ça n’est pas inscrit dans les gênes). Nous avons construit notre bonheur avec elle. Elle nous a été imposée et tant mieux. Nous n’avons pas eu le choix et nous sommes heureux aujourd’hui. Nous sommes une famille comme une autre avec nos soucis et nos joies. Nos bonheurs peut-être plus grands car nous avons aussi des difficultés plus grandes.

Par la suite, nous avons eu trois autres enfants. Nous avons refusé le dépistage car nous savions ce qu’était la trisomie 21. Nous avons cherché les raisons pour lesquelles notre fille trisomique ne mériterait pas de vivre. Pourquoi la vie de ce nouvel enfant aurait moins de valeur que celle de sa sœur ainée. Car il faut être cohérent dans sa démarche : si je n’accepte pas l’enfant trisomique que j’attends c’est que je crois que sa vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Le gynécologue pose-t-il cette question aux parents : quelles sont les raisons pour lesquelles vous ne voulez pas que votre enfant vive ? Si les parents ont des raisons à donner (et je crois que certains parents ont des vrais raisons qui se justifient) alors ils pourront faire un vrai choix et ils n’auront pas alors à se culpabiliser plus tard. Au moment où ils ont pris cette décision pour telle ou telle raison elle était justifiée.
Dans notre cas, nous n’avons pas trouvé de bonnes raisons pour empêcher notre troisième, puis notre quatrième puis notre cinquième enfant de vivre. Notre fille ne nous renvoyait pas l’image du malheur, alors pourquoi avoir le choix ? Je ne voulais pas avoir à prendre de décision car au fond de moi, je savais que je n’avais pas le choix de tuer le plus petit alors que sa sœur en chromosome respirait le bonheur.

(Une non-professionnelle)