UN COMITÉ POUR SAUVER LA MÉDECINE PRÉNATALE

Le Comité pour sauver la médecine prénatale (CSMP) s’est constitué à cause des bouleversements techniques et pratiques du diagnostic prénatal. Ces mutations – particulièrement celles qui ont trait au dépistage de plus en plus précoce de la trisomie 21 – remettent en cause l’avenir de plusieurs métiers. Le CSMP rassemble des professionnels de la grossesse qui partagent ce souci : médecins, sages-femmes, infirmiers… Son coordonnateur est le docteur Patrick Leblanc, gynécologue obstétricien au CHG de Béziers. Ensemble, ils lancent un Appel.

Pourquoi un Comité pour sauver la médecine prénatale ?

En 2008, dans une lettre de saisine du Conseil d’Etat sur le réexamen de la loi de bioéthique, le Premier ministre François Fillon a posé la question fondamentale des dérives éthiques de la médecine prénatale : « Les dispositions encadrant les activités (…) de diagnostic prénatal et de diagnostic préimplantatoire garantissent-elles une application effective du principe prohibant toute pratique eugénique tendant à l’organisation et à la sélection des personnes ? ».

Pour nous, spécialistes de la grossesse et de la naissance, cette inquiétude du chef du gouvernement renvoie prioritairement à la stratégie de dépistage de la trisomie 21 mise en place à partir du milieu des années 90 par les pouvoirs publics français et sans cesse développée depuis. Parce qu’il concerne chaque année en France 800 000 femmes enceintes, le dépistage/diagnostic de la trisomie 21 est en effet emblématique. Il génère un malaise grandissant au sein de notre profession. Et la dernière décision politique significative en la matière, traduite par deux arrêtés du ministre de la santé signés le jour même de la clôture des Etats Généraux de la bioéthique le 23 juin 2009, marque un tel fossé entre les problèmes réels que nous rencontrons, et les préoccupations des pouvoirs publics, qu’aujourd’hui nous devons prendre la parole.

Le projet de loi de bioéthique et le débat qui l’accompagnera devrait faire prendre conscience au gouvernement et au parlement des enjeux éthiques – et non pas seulement techniques ou médicaux – du dépistage de la trisomie 21.

En effet, le questionnement éthique s’est fait plus insistant ces dernières années en raison de la mise en évidence d’un lien de cause à effet quasi absolu entre le dépistage et l’interruption médicale de grossesse. Depuis longtemps, les travaux de l’Inserm (Unité 149) montrent une augmentation du taux d’IMG strictement parallèle à l’évolution du diagnostic prénatal de la trisomie 21.

Les chiffres sont aujourd’hui sans appel ainsi que vient de le reconnaître officiellement la mission d’information parlementaire sur la révision des lois de bioéthique : « 92% des cas de trisomie 21 sont détectés, contre 70 % en moyenne européenne et 96 % des cas identifiés donnent lieu à une interruption de grossesse ».

Nous sommes donc de plus en plus nombreux à nous retrouver dans l’analyse réaliste de notre confrère le Pr. Israël Nisand : « Le dépistage de la trisomie 21 est sûrement le moins légitime et le plus discutable de ce que l’on fait en médecine fœtale. Comment faut-il que les médecins que nous sommes, mandatés par l’Etat, réagissent par rapport à ce que l’on est obligé d’appeler un projet eugénique, c’est-à-dire un projet de tri des enfants à naître dans notre pays ? C’est tellement entré dans les mœurs, c’est tellement normal qu’on fasse la chasse au handicap et aux handicapés qu’il n’y a plus personne qui se pose de questions là-dessus. Et je pense que s’il y a quelqu’un qui doit se poser des questions, c’est le bras effecteur, c’est-à-dire nous, médecins. Là, on est comme… je ne sais qui le disait… qu’on est les bourreaux d’une société chargés d’évacuer ce que cette société ne souhaite pas avoir comme êtres humains ».

Or cette surenchère dans le dépistage nous inquiète. C’est pourquoi, nous avons décidé de prendre la parole pour alerter sur cette escalade. Nous ne pouvons nous satisfaire d’une réponse collective irrecevable sur le plan éthique, oppressante pour les femmes, contraignante pour les professionnels, dévalorisante pour la médecine prénatale, dispendieuse pour l’assurance maladie, et qui ne règle rien sur le fond. Il convient de desserrer le corset étouffant d’un système qui obéit à une logique qui nous échappe et qui n’est plus en prise avec notre réalité quotidienne.

Quelques mesures simples peuvent être proposées. Elles devront trouver leur place dans le débat public qui guidera la révision de la loi de bioéthique. 

 1) Dépistage de la trisomie en France : un système oppressant pour les parents et pour les médecins

Comment expliquer que 96% des fœtus diagnostiqués trisomiques soient supprimés avant la naissance ? Pourquoi est-il pratiquement inimaginable pour la majorité des parents d’accueillir leur enfant handicapé ? Selon nous, la réponse tient en partie à l’organisation du système de dépistage mis en place par la puissance publique. Le dispositif n’a cessé de se perfectionner sous la triple pression de l’aversion pour le handicap mental, des progrès technique et du coût des personnes trisomiques. Cette course à la performance, faussement présentée comme un progrès de la médecine, produit un effet incitatif sur le choix des mères, induisant des décisions allant presque toutes dans le sens d’une interruption de grossesse en cas de risque avéré de trisomie 21.

Les parents qui auraient fait le choix de faire naître en toute connaissance de cause un enfant trisomique ne sont-ils pas de plus en plus amenés à se sentir coupables d’avoir opté pour cette décision envers et contre tout ? C’est ce contre quoi a mis en garde notre confrère Julie Steffann, praticien hospitalier dans le service de génétique médicale de l’hôpital Necker auditionnée le 4 mars 2009 par la mission parlementaire : « Si la loi, visant un cas précis, autorise expressément un dépistage, les couples se sentent tenus d’y recourir pour ne pas se sentir coupables de n’avoir pas tout fait pour leur futur enfant ». Puisque la société leur avait donné le droit de recourir à une IMG en cas de trisomie, ne doivent-ils pas se préparer à affronter le regard désapprobateur des autres en justifiant par avance leur choix ? « Mettez voir une femme avec un trisomique 21 dans un supermarché et regardez, filmez en caméra cachée ce qui lui arrive. Vous allez voir les réactions : … ‘‘ Mais c’est une bavure. Mais vous ne vous êtes pas fait suivre ?’’ » dit encore Israël Nisand dans le documentaire Naître ou ne pas naître déjà cité.

Parce que pour accompagner l’offre publique de dépistage de la trisomie, les praticiens sont tenus d’informer systématiquement toutes les patientes enceintes quel que soit leur âge, il s’est ainsi créé artificiellement une demande. Mais cette demande est largement le fruit de l’effet prescripteur du dépistage généralisé lui-même. Il aboutit à ce que les femmes disposent d’un délai de réflexion de plus en plus court et envisagent de moins en moins de garder leur enfant handicapé. S’instaure alors un cercle vicieux qui alimente dans notre société des perceptions stigmatisantes des personnes trisomiques, véhiculant toujours plus des stéréotypes, aggravant notre regard collectif sur cette pathologie. C’est bien la crainte qui a été émise par les participants d’un colloque qui s’est déroulé à l’hôpital de la Timone à Marseille dans le cadre des Etats généraux de la bioéthique : « Quel sera, à long terme, le retentissement que les techniques anténatales génèreront dans l’imaginaire collectif pour les familles qui auront accepté l’accueil d’un enfant handicapé. L’élimination de sujets porteurs de trisomie n’est-elle pas lourde de sens ? N’y a-t-il pas un danger à ce que de telles personnes soient perçues par la société comme un poids économique qui aurait pu être allégé si les techniques avaient permis d’empêcher leur naissance ? ».

La pression est telle que les praticiens sont désormais obligés de demander aux patientes qui ne souhaitent pas faire ce dépistage de signer une décharge dans le but de se protéger d’un point de vue médicolégal. Cette attitude est vécue par beaucoup d’entre nous comme une contrainte qui altère la relation de confiance entre le praticien et sa patiente. L’autre tentation que l’on voit poindre chez certains confrères peut être l’insistance dont ils font preuve pour faire subir aux femmes des examens contre leur volonté comme le montre l’histoire de ce couple informé par un simple courrier que leurs futurs jumeaux étaient à risque : « Ma femme était effondrée, se souvient Charles. Le gynécologue nous a poussés très fortement à faire une amniocentèse. Or, nous ne voulions pas faire cet examen. Malgré notre refus, le médecin s’est montré particulièrement intimidant et manipulateur ».

Le psychologue-psychanalyste Jean-Philippe Legros, membre d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal met en garde contre les effets destructeurs de cette pensée unique : « Comment imagine-t-on qu’un individu, une femme ou un couple puissent résister seuls à une pression sociale de cette force ? ».

Récemment, les arrêtés précités du 23 juin 2009 nous ont demandé de faire passer le dépistage de la trisomie 21 à la vitesse supérieure, marquant pour la 1ère fois dans un texte règlementaire notre obligation, en contradiction avec le sentiment général exprimé au même moment par les Etats généraux de la bioéthique. Enfin, depuis cet été nous sommes démarchés par des laboratoires qui évaluent, contre rémunération, notre acceptabilité à prescrire de nouveaux tests ultraprécoces sur simple prise de sang chez la mère.

En tant que professionnels de la grossesse et de la naissance, nous dénonçons la diffusion d’un prêt-à-penser sociétal qui en vient à étouffer la liberté de choix des personnes alors que le consentement éclairé était théoriquement la clé de voûte du dépistage.

En réalité, ce refus quasi général d’accueillir un enfant trisomique apparaît aux yeux de nombreux professionnels comme statistiquement improbable. Une telle attitude ne se produirait pas si les 800 000 femmes enceintes annuellement n’étaient pas considérées comme un marché captif et renouvelable qu’il convenait préalablement d’inquiéter avant de lui vendre la panacée du dépistage. Or, nous dénonçons cette contrainte économique qui pèse sur les femmes et sur nous mais qui n’a rien à voir avec une vraie politique de santé publique. Elle a au contraire plongé notre société par effet de système dans une sélection historique des grossesses trisomiques qui n’a pas d’équivalent chez aucun de nos voisins dans le monde.

2) Les dérives inquiétantes du dépistage de la trisomie 21 : un constat de plus en plus partagé

Nous pensons qu’il est primordial aujourd’hui d’affronter lucidement la question des dérives eugéniques dans notre pays d’autant qu’elle a désormais fait effraction dans l’espace public grâce à des voix autorisées.

Cette dérive avait été largement anticipée par un de nos confrères, le Pr. Jacques Millez, il y a plus de dix ans, en ces termes : « Il est généralement admis, par exemple, que sauf conviction ou disposition affective contraire des parents, un fœtus atteint de trisomie 21 peut, légitimement au sens de l’ethique collective et individuelle, bénéficier d’une interruption médicale de grossesse. Il existe une sorte de consensus général, une approbation collective, un consensus d’opinion, un ordre établi en faveur de cette décision, au point que les couples qui devront subir une interruption de grossesse pour une trisomie 21 ne se poseront guère la difficile question de la pertinence de leur choix individuel. La société en quelque sorte, l’opinion générale, même en dehors de toute contrainte, a répondu pour eux. Tout le monde ou presque aurait agi de la même façon. L’indication paraît même tellement établie que les parents considèrent en quelque sorte que c’est un droit. Qui d’ailleurs songerait à leur disputer ? L’économie sera faite ici de lancinantes interrogations sur la pertinence du choix ».

Le Pr. Didier Sicard, alors encore président du Comité consultatif national d’éthique, a tiré la sonnette d’alarme en ces termes : « Osons le dire : la France construit pas à pas une politique de santé qui flirte de plus en plus avec l’eugénisme (…). La vérité centrale est que l’essentiel de l’activité de dépistage prénatal vise à la suppression et non pas au traitement. Ainsi ce dépistage renvoie à une perspective terrifiante : celle de l’éradication ».

Le Pr. Jean-François Mattéi s’est également exprimé clairement en ce sens : à propos de la médecine fœtale, « il y a des enjeux éthiques forts : on peut parler d’eugénisme familial, doux et à visage médical. Or quand 99 % des couples font le choix de l’IMG, l’addition des volontés individuelles dessine l’orientation d’une société tout entière sans que chacun en ait conscience : un certain eugénisme de masse prétendument au nom de l’humanisme ».

Nous le savons à présent, ces discours ne sont pas étrangers à la teneur des propos du Premier ministre dans sa lettre de mission au Conseil d’Etat que nous avons déjà citée. Peu commentée, la réponse que la Haute juridiction a depuis rendue dans son étude ne laisse planer aucun doute. Si les sages ont rappelé que l’eugénisme pouvait être « le fruit d’une politique délibérément menée par un Etat », ils ont également reconnu pour la première fois qu’il pouvait être « le résultat collectif d’une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents ». La suppression de 96 % des enfants atteints de trisomie 21 – chiffre cité noir sur blanc dans le rapport – rend compte de l’existence d’« une pratique individuelle d’élimination presque systématique » a insisté le Conseil d’Etat.

Lors de son audition à l’Assemblée nationale, le Pr. Israël Nisand a d’ailleurs demandé aux députés d’arrêter de se voiler la face : « C’est vrai que c’est gênant à entendre, c’est vrai que nous avons mis des programmes eugéniques en place. Le dépistage de la trisomie 21, ça existe actuellement dans notre pays, tous les ans 800 000 femmes se le tapent (…). Oui, on choisit les enfants à naître dans notre pays même si cela ne nous plaît pas ».

Aujourd’hui, les critiques médicales se multiplient dans les revues spécialisées laissant poindre un mal-être croissant de nos collègues. Les gynécologues qui osent prendre la parole dénoncent la dérive technocratique du dépistage où le praticien est sommé d’adhérer à « un label qualité trisomie 21 », devenant un « agent de police sanitaire ». « Ne nous demande-t-on pas d’œuvrer « activement » dans le cadre d’un eugénisme « passif » organisé par l’Etat ? », demande l’un d’eux.

La grande presse a d’ailleurs relayé largement un trouble qui ne cesse d’enfler : « La France au risque de l’eugénisme ? », « Le dépistage va-t-il éliminer les trisomiques ?», « Trisomie 21 et dépistage : le risque de l’eugénisme », « Le diagnostic prénatal au risque de l’eugénisme ?», « La trisomie toujours plus dépistée », « Le dépistage de la trisomie 21, on en fait trop ? », etc.

Nous pensons que la désaffection préoccupante qui frappe notre spécialité est en partie liée à la « pression eugénique » qui pèse sur nos pratiques. La logique du « bébé zéro triso » doit-il devenir la fin dernière de notre métier ?

3) Des pistes d’amélioration simples et concrètes

Pour amorcer un virage nécessaire, plusieurs recommandations peuvent être formulées.

1°) Rééquilibrage de l’information délivrée aux femmes

Dans l’information délivrée à la femme en ce qui concerne la trisomie 21, il convient de restaurer des éléments de pondération. Cette information fait le point sur la pathologie mais fait l’impasse sur le patient. Elle réduit l’enfant à sa trisomie et à la procédure d’évitement de la maladie. N’est-il pas paradoxal que la seule vertu d’un dépistage en population générale soit de rendre mortelle une pathologie qui ne l’est pas ? La qualité de l’information est donc profondément discutable. De même, la quantité de l’information à délivrer aux femmes, au moins dix items en application de l’arrêté du 23 juin 2009, est irréaliste puisqu’elle conduit à doubler le temps de la consultation, ce qui n’est sérieusement envisageable par personne. Quant aux praticiens qui s’acquitteraient scrupuleusement de leur tâche ils n’auraient d’ailleurs aucun moyen de vérifier que les patientes ont bien intégré ces données surabondantes.

Les caractéristiques cliniques de la trisomie 21 ne sont donc pas l’alpha et l’oméga de ce qu’il convient de dire aux femmes sur l’enfant qu’elles attendent. Une information équilibrée requiert d’inclure les regards issus de familles et de réseaux associatifs directement concernés par cette problématique qui sauront témoigner du vécu quotidien avec des enfants porteurs de trisomie 21, en tenant compte donc de la dimension positive de leur existence.

Mme Chantal Lebatard, administratrice de l’UNAF, a ainsi plaidé devant la mission parlementaire pour que cet accompagnement se traduise par « des rencontres avec des associations de parents d’enfants malades, afin de permettre aux familles un véritable libre choix, et non une induction dans un climat d’angoisse, de stress terrible et de souffrance ». Le docteur Alexandra Benachi du service de gynécologie obstétrique du CHU Antoine Béclère a appuyé cette démarche en proposant également que les couples confrontés à l’annonce d’un diagnostic de trisomie 21 soient mis en contact avec des associations compétentes. Ainsi les noms des trois plus grandes institutions compétentes sur le plan de l’accompagnement social ou médical (UNAPEI, Fondation Jérôme Lejeune et Trisomie 21 France) devraient être explicitement mentionnés.

Cette façon de procéder contribuerait à restaurer le temps indispensable à la réflexion des parents qui est notablement réduit par les arrêtés du 23 juin 2009. Ainsi la liberté des femmes en sortirait renforcée, la précipitation n’étant jamais bonne conseillère dans ces circonstances.

2°) Desserrer la contrainte du dépistage généralisé de la trisomie 21

La présentation, avant l’été, d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la loi dite « anti Perruche », a par ailleurs replacé sur la scène publique l’enjeu de la détection des handicaps pendant la grossesse. Il est important de savoir qu’à ce sujet, nous, professionnels de la grossesse, ne pourrons pas nous satisfaire d’une amélioration de la protection contre les risques médico-légaux que nous encourons, c’est-à-dire d’une simple couverture des dérives actuelles.

Comme l’ensemble des acteurs et observateurs de ces dérives (femmes enceintes, citoyens, etc.), nous demandons qu’en 2010 ces problèmes fondamentaux soient enfin traités sous l’angle des causes et qu’on ne se contente pas de s’accommoder des conséquences. Un point particulier majeur devra ainsi faire l’objet à la fois d’un débat citoyen et d’un réexamen au fond par les autorités : le nouveau dispositif de détection des fœtus trisomiques (dépistage combiné et précoce) mis en place et généralisé par l’arrêté du 23 juin 2009 déjà cité.

En tant que professionnels nous voulons retrouver la liberté de prescrire les tests de dépistage et non plus nous voir imposer l’obligation de les proposer systématiquement à toutes les femmes enceintes, sans aucun critère de ciblage. Il s’agit de refonder le système sur la confiance accordée aux praticiens qui doivent être responsables de proposer les tests, en conscience, s’ils les jugent utiles, en fonction de la situation de santé de la femme (âge, antécédents), de même que le bénéfice de ces tests sera naturellement accordé aux femmes qui le demandent. Loin d’imposer à qui que ce soit, patiente ou médecin, un quelconque ordre moral, on évitera au moins que les représentations fantasmées de la trisomie 21 continuent à prospérer. Ce dispositif est par exemple celui que la Suède a élu en refusant d’instaurer une politique de dépistage de la trisomie 21. Par ailleurs, tous les pays qui proposent un dépistage retiennent un critère objectif, que se soit l’âge ou les antécédents : les femmes enceintes ne se trouvent pas en situation d’égalité face au risque de trisomie. Il est infondé et dévalorisant de nous contraindre à proposer systématiquement à toutes les femmes un dépistage de la trisomie 21.

Cette recommandation de ne plus faire de ces tests une étape aussi contraignante s’accorde en outre avec une préconisation de la Haute autorité de santé qui avait insisté en 2007 sur le droit des femmes à ne pas être informées : « Certaines femmes peuvent arriver en consultation avec des convictions affirmées sur le dépistage/diagnostic prénatal. Elles sont en droit de refuser l’information et de rester ignorantes sur les stratégies prénatales et leurs implications. La préservation du principe d’autonomie suppose de respecter ce choix : en effet, en leur fournissant une information qu’elles ne désirent pas, on risque de les mettre face à des préoccupations qu’elles n’avaient souhaité ».

Enfin il nous paraît inapproprié d’étendre la possibilité pour d’autres catégories professionnelles de prescrire les examens biologiques de dépistage prénatal. En effet, multiplier les prescripteurs de tests sans résoudre la question préalable du malaise grandissant des gynécologues obstétriciens ne va pas dans le bon sens.

L’urgence d’un débat national

Quinze ans après la mise en place en France du dépistage des enfants trisomique pendant la grossesse, nous professionnels de la naissance ne pouvons rester muets. Le débat national sur la bioéthique offre une opportunité naturelle de propositions pour améliorer les conditions d’exercice de nos métiers au service des femmes enceintes.

Mais notre société pourrait aller plus loin en demandant à ses représentants de réfléchir aux valeurs qui sous-tendent nos pratiques.

A ce titre, et dans le sillage des préoccupations exprimées lors des Etats généraux de la bioéthique, conduire une réflexion sur le sens et la portée de l’article 16-4 du Code civil serait légitime et marquerait une conscience réaliste de la situation.

Votée dans le cadre des premières lois de bioéthique en 1994, la disposition « toute pratique eugénique tendant à l’organisation et à la sélection des personnes est interdite » avait vocation à s’appliquer aux pratiques anténatales. Elle avait donc une signification tout à fait explicite. Aujourd’hui, nous sommes collectivement conscients que le dépistage généralisé de la trisomie 21 tend à devenir une pratique eugénique. Dès lors, comment se satisfaire d’une disposition de principe inappliquée et, surtout, comment rendre toute sa portée à une prohibition aussi fondamentale que la loi ne parvient plus à faire respecter ? Si l’on veut répondre honnêtement à la question posée par le Premier ministre et rappelée au début de ce texte – qui mentionne le contenu de l’article 16-4 du Code civil – il nous paraît urgent de ne pas faire l’économie de ce débat.