Appel pour sauver la médecine prénatale

Médecins et professionnels de santé concernés par la médecine prénatale, nous alertons les pouvoirs publics et nos concitoyens sur l’évolution du diagnostic prénatal, et en particulier sur le dépistage de la trisomie 21.

Acteurs de la mise en œuvre du diagnostic prénatal, nous ressentons un malaise croissant dans l’exercice de nos métiers. Il ne s’agit pas de minimiser les difficultés et les souffrances de l’entourage d’un enfant atteint. Cependant nous nous interrogeons sur nos pratiques en l’absence de débat sociétal sur l’accueil des personnes handicapées.
Sans véritable débat ni choix politique assumé par l’ensemble de la société, nous sommes entrés dans une « traque » généralisée du handicap. Le diagnostic prénatal est largement détourné de sa finalité thérapeutique. Cette situation aboutit au rejet de plus en plus systématique des fœtus porteurs d’anomalies.

Le dépistage prénatal (DPN) de certaines affections est désormais essentiellement orienté vers la pratique de l’interruption médicale de grossesse (IMG). Les chiffres concernant la trisomie 21 sont emblématiques : « 92% des cas de trisomie 21 sont détectés, contre 70% en moyenne européenne, et 96 % des cas identifiés donnent lieu à une interruption médicale de grossesse. Les techniques de dépistage, toujours plus précoces, touchent chaque année en France l’ensemble des 800 000 femmes enceintes. La législation nous contraint de leur proposer plusieurs étapes successives de dépistage des risques, puis au besoin de diagnostic exact des anomalies recherchées. Beaucoup de femmes les croient même obligatoires.

Nombre de couples se sentent pris dans un engrenage qui aboutit à l’IMG, sans véritable réflexion, ni alternative. Ils vivent souvent cette période avec un sentiment d’oppression. Pour beaucoup, l’attente des résultats des tests provoque des angoisses inutiles, dont il ne faut pas négliger les conséquences sur le lien mère-enfant. La perspective de développement des autotests de dépistage précoces, en vente libre sur Internet,à risque d’accélérer cet emballement.

La situation s’est encore aggravée avec deux arrêtés publiés le 23 juin 2009 qui nous demandent de dépister la trisomie 21 dès le premier trimestre de la grossesse : les praticiens détectant une trisomie 21 doivent délivrer aux femmes de nombreuses informations dans un langage médical qui les écrase. Cette approche très « technicienne » réduit le fœtus trisomique à son anomalie chromosomique, sans lui donner la chance d’exister pour ce qu’il est, avec des capacités indéniables dont les personnes trisomiques témoignent chaque jour.

Finalement, le taux de 96% d’IMG reflète une logique à sens unique : il est très difficile pour un couple de résister à la pression médicale, sociale et culturelle. Les femmes enceintes, les couples, l’assurance maladie, les pouvoirs publics et les professionnels de la médecine prénatale sont enfermés dans un processus collectif qui les dépasse.
Cette situation aboutit à remettre en cause notre métier de soignants. N’est-il pas paradoxal que le dépistage massif n’ait abouti qu’à rendre mortelle une pathologie qui ne l’est pas ? N’est-il pas scandaleux que les autorités sanitaires osent évaluer une région selon le taux de trisomie 21 à la naissance ?

Plusieurs personnalités ont publiquement dénoncé cette culture de l’éradication du handicap par l’IMG. Jean-François Mattei, Didier Sicard, Jacques Testart et Israël Nisand n’hésitent pas à parler d’eugénisme, spécialement pour la trisomie 21. Nous joignons nos voix aux leurs pour demander de toute urgence à une autre politique de santé publique.

Constitués en Comité pour sauver la médecine prénatale, nous demandons aux pouvoirs publics de :

1/ Rééquilibrer l’information délivrée aux femmes sur la trisomie 21 :

Pour permettre de décider en connaissance de cause, il faut inclure dans l’information sur la trisomie 21 l’apport des familles et des réseaux associatifs directement concernés par ce handicap. Ces personnes sauront témoigner de la vie quotidienne avec des enfants porteurs de trisomie 21, en tenant compte aussi de la dimension positive de leur existence.

2/ Desserrer la contrainte du dépistage généralisé :

Nous voulons retrouver la liberté de prescrire les tests de dépistage. Il s’agit de refonder le système sur la confiance accordée aux praticiens : ils doivent être responsables de proposer les tests, en conscience, en fonction de la situation de santé de la femme (âge, antécédents) et de sa réelle attente. Car il s’agit aussi de respecter certaines patientes qui se disent harcelées par les propositions systématiques de tests.

3/ Organiser un débat national sur la question de l’eugénisme :

Ce débat démocratique est nécessaire. Il doit viser l’application pratique à la médecine prénatale, et spécialement à la trisomie 21, de la disposition de la loi de bioéthique précisant dès 1994 que « toute pratique eugénique tendant à l’organisation et à la sélection des personnes est interdite ».