Ils ont dit
« Le dépistage de la trisomie 21 est sûrement le moins légitime et le plus discutable de ce qu’on fait en médecine fœtale. Comment faut-il que les médecins que nous sommes, mandatés par l’État, réagissent par rapport à ce que l’on est obligé d’appeler un projet eugénique, c’est-à-dire un projet de tri des enfants à naître dans notre pays. C’est tellement entré dans les mœurs, c’est tellement normal qu’on fasse la chasse au handicap et aux handicapés qu’il n’y a plus personne qui se pose de questions là-dessus.
Et je pense que s’il y a quelqu’un qui doit se poser des questions, c’est le bras effecteur, c’est-à-dire nous, médecins.
Là, on est comme… Je ne sais qui le disait… qu’on est les bourreaux d’une société chargés d’évacuer ce que cette société ne souhaite pas avoir comme êtres humains.
Mettez voir une femme avec un trisomique 21 dans un supermarché et regardez, filmez en caméra cachée, ce qui lui arrive. Vous allez voir [les réactions] : … « Mais c’est une bavure. Mais vous ne êtes pas fait suivre ? »
« Essayez voir de mettre un enfant trisomique 21 à l’école… c’est aussi simple que ça ».
« Et je conclurai là-dessus. Je suis assez content d’être né avant le diagnostic prénatal.
Je vais aller un peu plus loin : ma mère n’a jamais eu à formuler devant moi, en phrase, avec sujet- verbe-complément, ce qu’elle aurait fait de moi si j’avais eu un jeton. Elle n’a jamais eu à formuler une parole de mort à mon égard.
Ah, je dis pas qu’elle n’a pas été inquiète là-dessus, elle m’a sûrement retourné comme toute mère pour voir si j’avais le trou de bal et tout… probablement qu’elle a fait ça comme toutes les mamans.
Mais elle n’avait pas dans sa poche et dans son escarcelle la phrase que ‘si mon enfant est taré, je veux qu’on le tue’, parce que cette phrase-là…
Si je vous dis cela, c’est pour que vous soyez sensibilisés à cela ».
Y a t-il des sous hommes, qu’il faut éliminer ou qu’il ne faut pas laisser vivre ?
Faut-il au contraire glorifier la souffrance des parents qui vont devoir toute leur vie accompagner un enfant « anormal » ?
Comment les aider ?
Quels sont les bons choix ?
Au-delà de la religion et de ses certitudes, au-delà des tables de la loi humaine, quelle voie faut-il choisir, entre le respect de la vie, de toute vie, et des choix humains de famille, des choix techniques ou économiques de société ?
Toute vie mérite-t-elle d’être vécue, se demandaient récemment en chœur les médias, les politiques et les juges ? A ces questions, je ne suis pas sûr que les réponses existent ; je suis même sûr qu’il n’existe pas de réponse toute faite.
Je regrette simplement aujourd’hui que dans notre société les réponses soient implicitement imposées, sans que les questions n’aient été réellement posées. Alors, je cherche le chemin. Je soigne, j’aide et j’accompagne. J’aide à accepter, atténuer ou, présomptueux que je suis, à corriger les erreurs de Dame nature qui n’est pas si bien faite. Je ne suis ni religieux, ni philosophe, seulement médecin des corps, un peu des esprits. Je n’écris pas la loi. Et les lois qu’elles soient humaines ou divines, je ne fais que les subir, mais avec le temps, les accepte de moins en moins. Mais comment en secouer le joug ?
Voilà ma question.
Dans son Rapport préparatoire à la révision de la loi de bioéthique (6 mai 2009), le Conseil d’Etat appelle à la vigilance pour la trisomie 21 car l’eugénisme peut être « le résultat collectif d’une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents » et certaines statistiques aujourd’hui en France signent pour cette pathologie « une pratique individuelle d’élimination presque systématique ».
« Osons le dire : la France construit pas à pas une politique de santé qui flirte de plus en plus avec l’eugénisme. La vérité centrale (…) de l’activité de dépistage prénatal vise à la suppression et non au traitement : ainsi ce dépistage renvoie à une perspective terrifiante : celle de l’éradication ».
« Il est généralement admis, par exemple, que sauf conviction ou disposition affective contraire des parents, un fœtus atteint de trisomie 21 peut, légitimement au sens de l’éthique collective et individuelle, bénéficier d’une interruption médicale de grossesse. Il existe une sorte de consensus général, une approbation collective, un consensus d’opinion, un ordre établi en faveur de cette décision, au point que les couples qui devront subir une interruption de grossesse pour une trisomie 21 ne se poseront guère la difficile question de la pertinence de leur choix individuel. La société en quelque sorte, l’opinion générale, même en dehors de toute contrainte, a répondu pour eux. Tout le monde ou presque aurait agi de la même façon. L’indication paraît même tellement établie que les parents considèrent en quelque sorte que c’est un droit. Qui d’ailleurs songerait à leur disputer ? L’économie sera faite ici de lancinantes interrogations sur la pertinence du choix »